Archimou
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La paume est une palme

4/4/2015

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[par gnoir]
Cette nuit un arbrisseau m'a poussé dans la main. Je me suis réveillé à cause d'une démangeaison dans la paume et il était là, ficus poussif. J'ai regardé l'autre main mais de ce côté rien n'avait changé : celle-ci, je l'ai perdue lors d'un accident du travail à la scierie, il y a quelques années, à cause d'une lame basculante mal réglée.

Depuis l'accident, je passe l'essentiel de mon temps dans le square Quiroga, au pied de ma barre de logements sociaux qui tourne le dos à la mer, à observer les allers et venues des arbres & plantes. Je me demande souvent si la main perdue n'a pas repoussé quelque part sur un rocher bouffé par les moules, ou dans un verger.
L'arbrisseau ressemble vaguement à un palmier.
 Je ne quitte ma cité-dortoir qu'une fois par semaine, pour me rendre au cabinet de mon "référent polaire", c'est ainsi qu'on appelle depuis la dernière réforme les membres de l'Ordre des soignants du nerf. Les tenants de l'école childebertiste les traitent d'imposteurs et vice-versa.

Le référent m'observe d'un œil :
"Décrivez-moi cet arbrisseau." Son travail consiste à m'injecter des flux chimiques, plus ou moins sévères en fonction de mon état d'agitation. A ce qu'il paraît, mes journées sont rythmées par le grincement des balançoires d'enfants et le bruit des végétaux que j'ai appris, avec le temps, à classer par fréquences, à la manière d'un herbier auquel j'aurais, seul, l'accès. 

Ainsi le cri du thuya s'apparente à un pipeau voilé tandis que le miaulement du hêtre, presque imperceptible, contredit en touts points son apparence massive : ce serait la caresse d'une gouttelette sur une joue, à peine le bruit d'une respiration. Le souffle du vent contre le peuplier est la réplique de l'espèce de râle qu'émet un oignon quand on l'épluche. Le rire d'un bouleau est un sautillement, les enfants jouant à saute-mouton. L'if est un canif sans possibilité, privé dirait-on de son manche, mais crissant. Il faut des heures d'écoute pour parvenir à démêler ces sons du brouhaha de la ville. 

Aussi gros qu'un pouce, incrusté dans ma paume comme un souriceau dans un vieux quignon. L'arbrisseau est doué de parole : "Voudrais-tu me rempoter?"

Cela aurait pu être un autre jour. J'ai d'abord cru aux effets de mon traitement. Or la créature insiste d'une voix fluette : "Il s'agirait de me trouver un tuteur fiable et dévoué." À présent je recule, pris de tremblements, cherchant autour de moi les signes d'une supercherie, mais le square a la même forme que la veille, et les ressorts de mon lit imitent la chute d'une branche sciée.

Un matin je sais que l'arbrisseau grossira, il enflera, jusqu'à s'en faire péter la panse. Je ne serai alors qu'une petite ligne noire au creux de sa palme.
    















NOTES DE SEANCE


                                        


                                        


arbre au coin de la gueule

patient dit : "je n'ai que des prête-noms"









sors du cabinet, fuis, déchire l'ordonnance




baltringues (à emplâtrer)












"les arbres sans ombre portent malheur"
propension patient inventer proverbes

















à surveiller






chut final, révolution
à surveiller



blabla cf blob obsession du mou


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    L'éditorial d'Archie Mew
    Photo
    Après les ballons de baudruche (n°1) et les masques (n°2) qui ont prouvé à petite échelle que le monde est un melon (mou, volant), on a cette fois décidé de grimper aux arbres, pour y construire une cabane. 

    Archimou, la revue qui change de forme comme de chemise (veau moulant).

    Le support choisi pour le 

    n°3 peuple les forêts et les mails de nos centres-villes : l'arbre, l'arbre, pour ses possibilités mutantes et ses ramifications & l'arbre-bras qui repousse quand on croit l'avoir scié, cousin de "l'archibras", cet appendice magique décrit par Fourier : "avec son appui un homme atteint une branche de 12 pieds de hauteur, saute sur l'arbre et descend de même, va pincer des fruits à l'extrémité de l'arbre et les rassemble dans le panier noué à l'archimain."

    On n'oublie pas l'arbre-barbe, cette forêt de poils où des oiseaux crasseux font leur nid & l'arbre-bar, où l'on réécrit sa vie au milieu d'inconnus stupéfiés. Le bistrot va fermer, mais personne ne veut sortir. Poèmes en bois, histoires tirées par les cheveux.

    L'arbre est un poing rempli de veines, et chaque invité de ce n°3 y a greffé une radicelle, s'amusant à écrire sur un tronc, plantant un arbre à coussins, tétant un buste ou faisant éclater un bouton d'herpès. On fit feu de tout bois dans l'Aisne, à Tokyo, dans la Drôme, à Montevideo ou à La Plata, en Bresse ou à Cordoue, etc. 

    Au registre généalogique, sériel et sérieux, qui mise tout sur la descendance, l'arbre préfère l'embranchement. Allons jeter un oeil chez Supervielle : "Chaque arbre est un archer qui lance des oiseaux" L'arbre en forme de lance-pierres, qu'on met en mouvement pour trouer la cible, les nuages et l'air. 

    Dans une des ses greguerias, petites phrases proches de l'aphorisme, le fieffé Gómez de la Serna, qui fricota avec paquet d'avant-gardes du 
    XXe s., décoche une belle flèche : "Changé en braise le charbon se souvient de tout, y compris de quand il était un arbre vert, dans un monde plein d'espoirs."  La possibilité commence en forêt ou le long d'un chemin de noyers. Ombres et saules. Ifs. Peupliers peuplés. Et que dire des hêtres.

    "Moi qui suis tout ce que je forme
    Je ne me savais pas feuillu."
    Comme Supervielle le pressentait, on abrite des êtres à feuilles.

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