[Une intervention de @gnoir pour Archimou.
Lâcher de ballon effectué le 14 avril 2014, au parc du Retiro (ici), à Madrid]
Lâcher de ballon effectué le 14 avril 2014, au parc du Retiro (ici), à Madrid]
Dans le quartier de Lavapiés, à Madrid, il y a cette légende qui se transmet depuis des générations. « Quand un animal couliforme meurt, dit un père à sa fille, un ballon s’envole au ciel, tel un bonbon d’hélium. Il éclate et naît un autre animal. » L’histoire circule, à chaque passeur elle est légèrement modifiée, comme une formule chuchotée à l’oreille et qu’on entend mal. « Tu m’écoutes ou bien ? »
Le 12 avril 2014, quittant la fournaise de Lavapiés pour trouver un peu d’ombre dans le parc du Retiro, bosquets, silence, je croise Cœur d’Aramburu, que je n’ai pas vu depuis longtemps et qui m’explique, à brûle-pourpoint, la chose suivante : « Certains voient dans cette légende la métaphore d’une âme molle qui s’échapperait vers un hypothétique firmament, genre religieux tu vois, mais des études récentes laissent à penser que le phénomène ne serait dû qu’a un simple mécanisme physique — effet de levier. Comme chacun sait, tout corps vivant est composé de sel et d’air comprimé. » Il dit ça d’une traite, comme s’il récitait un vade-mécum.
« Tu m’écoutes ou bien ? » Il enchaîne sur des verbes fondus, comme s’il les mélangeait. Fuyons. Filons. Foulons. Flouons. Il insiste, mais sa fille est déjà en train de courir vers la zone des toboggans, car son père raconte toujours la même histoire, elle en a assez, et j’ai d’autres projets.
Je m’éloigne. D’autres dans le groupe l’écoutent distraitement. Quelques grognements, une quinte, la bière au bord du bassin et voilà que les passants s’attroupent autour des théâtres ambulants de marionnettes, puis on oublie.
Le lendemain (13 avril 2014), la presse locale informe que sept animaux couliformes ont trouvé la mort simultanément à Madrid, dans des circonstances peu claires. Des témoins auraient vu flotter le bestiaire au-dessus du Retiro, sous la forme d’un gros ballon-poisson (tetraodontidae), une forme flottante et multicolore qui contenait à elle seule les sept dépouilles. Voici leur petite histoire, telle que me l’a racontée Coeur d’Aramburu, qui semble toujours avoir les infos avant tout le monde, mais que personne ne prend au sérieux.
*******
L’HELIOBOY. Fruit des amours interdites entre une fleur & un esclave (cagibi-boudoir où nique l’eunuque), il a une espérance de vie de sept secondes. Le temps pour un bègue de dire « couic », et c’est fini.
LA LIMAÇANTE. Cousine éloignée du morse (alphabet), la limaçante (invisible à l’œil nu) a trouvé refuge depuis longtemps dans le cou d’un coucou gris (cuculus canorus), où elle poursuit discrètement son travail de sape contre le principe de vitesse. Haine tenace des oiseaux. Refus incompréhensible de se mettre au pas.
LE PRÉPAGNOL. Sorte de molosse noir aux yeux clos. On ne l’a jamais vu plus agité que cette nuit de 1598, où il apparut dans la chambre de Felipe II, ce monarque espagnol qu’on disait fou, pour lui signifier sa mort imminente. Malgré les alchimistes qui l’entouraient, le roi aurait succombé d’effroi à la vue du monstre. Entre chien et loup, le prépagnol aurait continué de hanter pendant plus de quatre siècles le palais de l’Escorial, à quelques kilomètres de Madrid, avant d’en être délogé récemment, à coups de savates — certains disent chevrotine.
LE MAGMADON. Lourde tâche que celle du magmadon, le plus étendu des couliformes (120 ha), à qui l’on a remis, bébé, les clés du monde. Le Proprio* le tient en haute estime. Outre la mission de réchauffer l’antimasse des forêts (poumons), l’animal gigantesque, dont ont dit qu’un hoquet aurait enfanté le volcan de Cotopaxi (Équateur), est également chargé, ici-bas, des questions logistiques (gestion des déchets, ossuaires, usines de dessalement du corps humain, pétaudières, etc.). On dit que ses yeux de basalte, qui paralysent les importuns, ont décimé des générations de vulcanologues.
*forme qui les contient toutes
L’EPAULIUM. Cet orque irradié servit autrefois d’orgue aux raboteurs de la langue (Ecole des transitionnistes) qui, enfoncés dans leurs certitudes et petite musique, enseignaient qu’un mot « ne fait qu’un avec lui même ». L’ère du Couliforme (début XXIe) remit ces cuistres à leur place. Alors l’épaulium fut rendu à la mer, retrouvant ses capacités de dissolution. Dans les milieux universitaires, c’est à cette époque que l’on admit enfin qu’un morphème, comme un animal, ou être humain, est un organisme dépliable, de l’avant vers l’arrière ça on le savait depuis longtemps (merci), mais aussi du bas vers le haut, à la manière du mouvement inimitable qu’effectue l’haltérophile lors d’un épaulé-jeté.
L’OURSIN-LYRE. « Ouille », dit l’enfant qui, caracolant sur les rochers de la baie de Cadix, marche bêtement sur la bête. Le venin de l’oursin-lyre aurait la capacité d’inoculer des haïkus cristallins, comme celui-ci, qu’un môme un peu cloche récita à l’âge de sept ans, juste après une piqûre : « La mer fait pouet-pouet/Et ma bouée s’y décompote/Puisse l’oursin flotter. » Orteil transpercé.
L’ALOUETTE-FRAMBOISE. Autrefois crocodile, l’alouette-framboise a gardé du saurien, outre le cuir épais, un humour qualifié de noir : elle ne croque que ses semblables, laissant le destin des autres espèces à la discrétion du Proprio*.
*forme qui les contient toutes
Le 12 avril 2014, quittant la fournaise de Lavapiés pour trouver un peu d’ombre dans le parc du Retiro, bosquets, silence, je croise Cœur d’Aramburu, que je n’ai pas vu depuis longtemps et qui m’explique, à brûle-pourpoint, la chose suivante : « Certains voient dans cette légende la métaphore d’une âme molle qui s’échapperait vers un hypothétique firmament, genre religieux tu vois, mais des études récentes laissent à penser que le phénomène ne serait dû qu’a un simple mécanisme physique — effet de levier. Comme chacun sait, tout corps vivant est composé de sel et d’air comprimé. » Il dit ça d’une traite, comme s’il récitait un vade-mécum.
« Tu m’écoutes ou bien ? » Il enchaîne sur des verbes fondus, comme s’il les mélangeait. Fuyons. Filons. Foulons. Flouons. Il insiste, mais sa fille est déjà en train de courir vers la zone des toboggans, car son père raconte toujours la même histoire, elle en a assez, et j’ai d’autres projets.
Je m’éloigne. D’autres dans le groupe l’écoutent distraitement. Quelques grognements, une quinte, la bière au bord du bassin et voilà que les passants s’attroupent autour des théâtres ambulants de marionnettes, puis on oublie.
Le lendemain (13 avril 2014), la presse locale informe que sept animaux couliformes ont trouvé la mort simultanément à Madrid, dans des circonstances peu claires. Des témoins auraient vu flotter le bestiaire au-dessus du Retiro, sous la forme d’un gros ballon-poisson (tetraodontidae), une forme flottante et multicolore qui contenait à elle seule les sept dépouilles. Voici leur petite histoire, telle que me l’a racontée Coeur d’Aramburu, qui semble toujours avoir les infos avant tout le monde, mais que personne ne prend au sérieux.
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L’HELIOBOY. Fruit des amours interdites entre une fleur & un esclave (cagibi-boudoir où nique l’eunuque), il a une espérance de vie de sept secondes. Le temps pour un bègue de dire « couic », et c’est fini.
LA LIMAÇANTE. Cousine éloignée du morse (alphabet), la limaçante (invisible à l’œil nu) a trouvé refuge depuis longtemps dans le cou d’un coucou gris (cuculus canorus), où elle poursuit discrètement son travail de sape contre le principe de vitesse. Haine tenace des oiseaux. Refus incompréhensible de se mettre au pas.
LE PRÉPAGNOL. Sorte de molosse noir aux yeux clos. On ne l’a jamais vu plus agité que cette nuit de 1598, où il apparut dans la chambre de Felipe II, ce monarque espagnol qu’on disait fou, pour lui signifier sa mort imminente. Malgré les alchimistes qui l’entouraient, le roi aurait succombé d’effroi à la vue du monstre. Entre chien et loup, le prépagnol aurait continué de hanter pendant plus de quatre siècles le palais de l’Escorial, à quelques kilomètres de Madrid, avant d’en être délogé récemment, à coups de savates — certains disent chevrotine.
LE MAGMADON. Lourde tâche que celle du magmadon, le plus étendu des couliformes (120 ha), à qui l’on a remis, bébé, les clés du monde. Le Proprio* le tient en haute estime. Outre la mission de réchauffer l’antimasse des forêts (poumons), l’animal gigantesque, dont ont dit qu’un hoquet aurait enfanté le volcan de Cotopaxi (Équateur), est également chargé, ici-bas, des questions logistiques (gestion des déchets, ossuaires, usines de dessalement du corps humain, pétaudières, etc.). On dit que ses yeux de basalte, qui paralysent les importuns, ont décimé des générations de vulcanologues.
*forme qui les contient toutes
L’EPAULIUM. Cet orque irradié servit autrefois d’orgue aux raboteurs de la langue (Ecole des transitionnistes) qui, enfoncés dans leurs certitudes et petite musique, enseignaient qu’un mot « ne fait qu’un avec lui même ». L’ère du Couliforme (début XXIe) remit ces cuistres à leur place. Alors l’épaulium fut rendu à la mer, retrouvant ses capacités de dissolution. Dans les milieux universitaires, c’est à cette époque que l’on admit enfin qu’un morphème, comme un animal, ou être humain, est un organisme dépliable, de l’avant vers l’arrière ça on le savait depuis longtemps (merci), mais aussi du bas vers le haut, à la manière du mouvement inimitable qu’effectue l’haltérophile lors d’un épaulé-jeté.
L’OURSIN-LYRE. « Ouille », dit l’enfant qui, caracolant sur les rochers de la baie de Cadix, marche bêtement sur la bête. Le venin de l’oursin-lyre aurait la capacité d’inoculer des haïkus cristallins, comme celui-ci, qu’un môme un peu cloche récita à l’âge de sept ans, juste après une piqûre : « La mer fait pouet-pouet/Et ma bouée s’y décompote/Puisse l’oursin flotter. » Orteil transpercé.
L’ALOUETTE-FRAMBOISE. Autrefois crocodile, l’alouette-framboise a gardé du saurien, outre le cuir épais, un humour qualifié de noir : elle ne croque que ses semblables, laissant le destin des autres espèces à la discrétion du Proprio*.
*forme qui les contient toutes